Face à la domination écrasante d’Elon Musk et de SpaceX dans le secteur spatial, l’Europe reconfigure en profondeur son industrie satellitaire. Acculées par des années de compétition inégale, les principales entreprises spatiales du continent ont décidé de franchir un cap stratégique : se regrouper pour survivre. La fusion entre Eutelsat et OneWeb finalisée en 2023 marque la première étape, bientôt suivie par la création d’un poids lourd industriel issu d’un partenariat inédit entre Airbus, Leonardo et Thales. En coulisses, certains qualifient déjà ces initiatives d’ultimes sursauts face au spectre du « fear of missing out » — la peur d’être laissés pour compte dans la conquête de l’espace.
Une hégémonie américaine impossible à ignorer
SpaceX s’impose aujourd’hui comme l’acteur dominant du secteur spatial mondial. Grâce à sa constellation Starlink, l’entreprise californienne a placé plus de 8 000 satellites en orbite, soit près des deux tiers des satellites actifs au-dessus de nos têtes. En outre, elle contrôle plus de la moitié du marché mondial des lancements. Une avance technologique et commerciale qui laisse l’Europe loin derrière.
Cette supériorité met en péril la souveraineté technologique et stratégique du continent. Pour faire face, les industriels européens enclenchent des mouvements majeurs à travers des fusions jusque-là impensables il y a encore quelques années.
Eutelsat et OneWeb : le mariage de la géostation et du basse altitude
Première réponse structurante : la fusion entre Eutelsat, spécialiste européen des satellites géostationnaires (GEO), et OneWeb, entreprise basée au Royaume-Uni focalisée sur une constellation en orbite basse (LEO). Annoncée en juillet 2022, cette fusion s’est conclue en septembre 2023 avec la création du groupe Eutelsat.
Dirigé par Eva Berneke, avec Sunil Bharti Mittal à la co-présidence du conseil, ce nouveau groupe couvre désormais l’ensemble du spectre orbital — une première dans le secteur spatial européen. Cette complémentarité technique permet au groupe de proposer des services de connectivité complets, répondant aux besoins civils, gouvernementaux et industriels, en Europe, mais aussi au-delà.
En centralisant les ressources GEO et LEO, Eutelsat Group ambitionne de concurrencer directement les services de connectivité mondiale dopés par Starlink, notamment dans les zones rurales, isolées ou instables.
Un nouveau géant industriel en préparation pour 2027
Deuxième front ouvert : une alliance industrielle inédite entre Airbus, Leonardo et Thales. En octobre 2025, les trois géants de l’aéronautique et de la défense ont signé un protocole d’accord visant à fusionner leurs branches spatiales. Cette nouvelle entité, qui n’a pas encore été nommée, devrait voir le jour d’ici 2027.
Avec quelque 25 000 salariés attendus et une gouvernance répartie entre Airbus (35%) et Leonardo et Thales (32,5% chacun), elle entend mettre fin à la fragmentation industrielle du secteur spatial européen. L’objectif est clair : mutualiser compétences, infrastructures et budgets afin d’engendrer des synergies économiques et techniques déterminantes à l’échelle mondiale.
Une réponse tardive mais cohérente au défi de SpaceX
Ces fusions ne se limitent pas à une réponse commerciale : elles s’inscrivent dans une stratégie plus large de renforcement de l’autonomie stratégique européenne. Alors que l’Europe dépend largement de fournisseurs et d’infrastructures orbitales non européens, la création d’acteurs puissants et intégrés apparaît comme une voie incontournable pour espérer peser dans le nouvel ordre spatial mondial.
Mais ces ambitions se heurtent aussi à la complexité des réglementations internes à l’Union européenne, qui encadrent strictement le lancement et l’exploitation des constellations satellite. Ces freins réglementaires, bien qu’utiles à la sécurité et à la durabilité orbitale, pourraient ralentir les gains de terrain déjà tardifs face à un concurrent américain largement dérégulé.
Un tournant décisif pour le spatial européen
La chronologie des événements récents dessine une dynamique accélérée du côté européen :
- Juillet 2022 : Annonce de la fusion Eutelsat – OneWeb
- Septembre 2023 : Fusion finalisée sous le nom d’Eutelsat Group
- Octobre 2025 : Signature du protocole d’accord Airbus – Leonardo – Thales
- 2027 : Entrée en fonction prévue de la nouvelle entité industrielle
Chaque étape rapproche l’Europe d’un outil spatial consolidé et compétitif. Dans un contexte où la course à l’orbite est devenue un enjeu géopolitique, économique et technologique, ces alliances pourraient définir le futur du secteur spatial européen pour les décennies à venir.
Conclusion : l’effet FOMO comme catalyseur stratégique
Ce que certains décrivent déjà comme le “Project FOMO” incarne davantage qu’une simple réaction à SpaceX. C’est le symptôme d’un changement profond dans la manière dont l’Europe aborde ses ambitions spatiales. Après des décennies de rivalités industrielles et de projets fragmentés, une nouvelle union se dessine pour répondre à un défi commun. Si les projets réussissent à se concrétiser, ils marqueront un pivot stratégique dans l’histoire spatiale européenne.

