Une découverte sans précédent bouleverse la compréhension actuelle des comètes. Pour la première fois, des astronomes ont détecté un jet moléculaire de monoxyde de carbone (CO) émanant d’un objet céleste massif du nuage d’Oort. L’objet, connu sous le nom de comète C/2014 UN271 (Bernardinelli-Bernstein), révèle un niveau d’activité inattendu alors qu’il évolue encore bien au-delà de l’orbite de Saturne. Cette révélation fournit une nouvelle clé pour étudier les origines et les processus internes des comètes géantes issues des régions les plus lointaines du système solaire.
Un colosse glacé entrouvre sa cryosphère
Avec un noyau mesurant près de 137 kilomètres de diamètre, Bernardinelli-Bernstein dépasse de loin toutes les comètes observées à ce jour. Ce titan glacé, originaire du nuage d’Oort, affiche une activité énergétique inhabituelle à une distance de 16,6 unités astronomiques (soit plus de deux milliards de kilomètres), à peine à l’intérieur de l’orbite d’Uranus. Cette activité remet en cause les idées établies sur les conditions d’activation des noyaux cométaires.
Les premières images d’envergure datent de 2022, lorsque le télescope spatial Hubble confirme l’existence d’une structure sombre, massive, d’un noir presque aussi pur que le charbon. Mais l’événement inattendu survient en mars 2024.
Un signal unique capté par ALMA
Les 8 et 17 mars 2024, des observations menées avec l’Atacama Large Millimeter/Submillimeter Array (ALMA) au Chili révèlent un phénomène inédit : un jet moléculaire de CO jaillit du noyau de la comète. Ces émissions ont été identifiées grâce à la ligne spectrale CO (J=2–1), observée à 230 GHz. Au cours de deux sessions distinctes, les jets apparaissent dynamiques, changeant en intensité et en nombre.
Lors de la première observation, plusieurs jets sont enregistrés. La seconde session ne détecte qu’un seul faisceau, signalant une évolution ultra-rapide du comportement gazier de la comète. En parallèle, l’étude révèle une émission thermique de poussière continue, bien que la coma reste compacte, sans expansion excessive.
Une première mondiale pour l’astronomie cométaire
Cette détection du monoxyde de carbone représente une étape scientifique majeure. Jamais un tel jet n’avait été observé si loin du Soleil, en particulier sur une comète d’une telle ampleur. L’émission de CO suggère que ce gaz, beaucoup plus volatil que l’eau, constitue un moteur d’activité capable de fonctionner à des températures très basses.
Cela ouvre la voie à une meilleure compréhension des mécanismes de sublimation dans l’environnement distant du système solaire, où l’eau reste gelée. Grâce au CO, la comète dévoile son cœur actif beaucoup plus tôt que prévu, révélant une architecture interne façonnée par des millions d’années dans le froid cosmique.
Un messager du système solaire primitif
Les comètes du nuage d’Oort sont souvent décrites comme des témoins figés de la formation du système solaire. Le cas de Bernardinelli-Bernstein renforce cette perspective. Sa taille gigantesque, sa composition riche en volatils et son activité à grande distance en font un objet clé pour sonder les conditions originelles des planètes et des corps rocheux.
D’ici à son périhélie prévu pour janvier 2031, à environ 11 unités astronomiques du Soleil, la comète offrira une opportunité rare de suivre l’évolution progressive de l’activité cométaire sur un objet ultra-massif. Les scientifiques s’attendent à l’apparition d’autres gaz volatils, tels que le dioxyde de carbone ou, plus tard, la vapeur d’eau, dès que la température du noyau augmentera.
Un suivi en temps réel de ses transformations
Des campagnes d’observation sont déjà en cours pour enregistrer les moindres variations du noyau et des jets, notamment à travers des télescopes au sol et spatiaux. Ces données seront essentielles pour modéliser le fonctionnement des noyaux cométaires complexes, dont les processus de dégazage restent partiellement compris.
La prochaine décennie pourrait offrir une vue sans précédent de la transition d’une comète dormante vers une entité active. Grâce à Bernardinelli-Bernstein, les astronomes espèrent affiner leurs théories sur l’origine des éléments volatils et organiques qui auraient potentiellement contribué à l’apparition de la vie sur Terre.
Une chronologie d’événements clés
- 2014 : Découverte de la comète C/2014 UN271
- Avril 2022 : Confirmation de la taille du noyau via Hubble (120 à 137 km)
- Fin février 2024 : Première éruption observée par dégazage
- 8 et 17 mars 2024 : ALMA capte les jets de CO à 16,6 au
- Juin 2025 : Publication des résultats dans The Astrophysical Journal Letters
Les voix des experts
Des chercheurs de premier plan saluent cette découverte. Man-To Hui, de la Macau University of Science and Technology, déclare :
« C’est un objet incroyable, vu son activité à une distance si grande du Soleil. Nous supposions que la comète était énorme, mais il nous fallait les meilleures données pour confirmer cela. »
D’un ton plus visuel, David Jewitt de l’UCLA dépeint l’objet comme :
« Immense et plus noir que le charbon. »
En attendant janvier 2031
La trajectoire de Bernardinelli-Bernstein reste sous observation constante alors qu’elle poursuit sa lente descente vers l’intérieur du système solaire. D’ici 2031, l’étude de son activité progressive pourrait marquer un tournant dans la science cométaire. Elle pourrait aussi éclairer le rôle que ces géants glacés ont joué dans l’enrichissement de la Terre primitive en eau et molécules organiques.
Au carrefour de la chimie, de la dynamique orbitale et de l’astronomie, Bernardinelli-Bernstein offre un laboratoire cosmique unique. Sa lente métamorphose depuis les confins du nuage d’Oort jusqu’à notre zone dynamique interne est une invitation sans précédent à observer les origines mêmes de notre univers.