Une fusée tous les huit heures. C’est l’objectif que SpaceX s’est fixé avec la création de la Gigabay, une infrastructure industrielle sans précédent en cours de construction à Starbase, au Texas. L’ambition : produire jusqu’à 1 000 fusées Starship par an d’ici 2026, avec une cadence qui bouleverse les standards de l’industrie spatiale.
Un projet titanesque pour une fusée monumentale
Le projet Gigabay marque une nouvelle phase dans le développement stratégique de SpaceX. L’installation s’élèvera à 116 mètres de hauteur et offrira plus de 1,3 million de mètres cubes d’espace intérieur, soit un volume comparable aux plus grands hangars aéronautiques du monde. Cette méga-usine abritera 24 cellules de production conçues pour assembler et remettre en état à la fois le premier étage Super Heavy et le second étage Starship.
Pour manipuler les énormes composants en acier inoxydable, SpaceX équipera la Gigabay de grues pouvant soulever jusqu’à 400 tonnes chacune. Les travaux, déjà bien engagés, incluent actuellement l’installation de quatre grues-tours de grande envergure. La livraison complète de l’installation est fixée à décembre 2026.
Une cadence industrielle inédite dans l’histoire de l’aérospatiale
Produire près de trois Starships par jour représente un saut exponentiel dans la fabrication de lanceurs orbitaux. À titre de comparaison, la cadence annuelle de toutes les agences spatiales nationales réunies reste bien inférieure à cette cible audacieuse. SpaceX cherche ainsi à transformer Starbase d’un site d’essais en un centre industriel spatial à grande échelle.
Cette accélération est cruciale pour soutenir les ambitions martiennes d’Elon Musk. Une flotte abondante de vaisseaux réutilisables rendrait plus accessible la colonisation lunaire ou martienne, en réduisant drastiquement les coûts logistiques et les délais entre les missions.
Starship : une architecture pensée pour la massification
Le Starship est un lanceur lourd à deux étages totalement réutilisable. Le système comprend le booster Super Heavy et le vaisseau Starship, tous deux équipés de moteurs Raptor fonctionnant au méthane liquide et oxygène liquide. Ce choix de carburant assure une performance élevée tout en simplifiant le ravitaillement sur Mars.
Conçu pour des charges utiles allant de 100 à 150 tonnes en orbite terrestre basse (jusqu’à 250 tonnes en mode consommable), le Starship vise à devenir le véhicule spatial le plus performant et le plus rentable jamais construit. Son design repose sur une structure en acier inoxydable, optimisée pour la résistance thermique et la réutilisation.
Une montée en puissance appuyée par l’expérience
Depuis 2020, SpaceX a développé plus de 30 prototypes de Starship et produit plus de 600 moteurs Raptor. Les essais successifs ont permis de tester le comportement aérodynamique, la poussée, la récupération et l’intégration des étages. Au fil des années, la société a affiné ses processus d’essai, jusqu’à réussir le 11ᵉ vol test à haute altitude en 2025, marquant une avancée significative en stabilité de vol et en réutilisabilité.
Parallèlement, la cadence de production s’est accélérée. D’ici fin 2025, SpaceX prévoit de terminer une fusée tous les trois jours, avant d’atteindre une production quotidienne d’étages supérieurs à l’ouverture complète de la Gigabay.
Vers une révolution économique de l’accès à l’espace
La standardisation de la chaîne de production pourrait abaisser le coût unitaire par Starship à environ 250 000 dollars — une baisse historique si elle est atteinte. Ce chiffre, comparé aux milliards nécessaires pour les lanceurs traditionnels de capacité équivalente, positionne SpaceX comme le pionnier économique du transport spatial lourd.
Ce modèle industriel vise aussi à répondre à la demande croissante de lancements commerciaux, institutionnels et scientifiques. En parallèle, l’entreprise développe un écosystème autour de Starbase, incluant logements, écoles et commerces, afin de soutenir une communauté durable dédiée à cette activité spatiale intense.
Enjeux et limites d’une cadence effrénée
Bien que prometteur, le projet soulève plusieurs défis considérables. Produire une fusée orbitalement opérationnelle en huit heures impose des contrôles qualité rigoureux, une chaîne logistique fluide et une tolérance minimale aux erreurs. La coordination entre étapes d’assemblage, tests moteurs, intégration des systèmes et préparation au lancement nécessite une précision industrielle digne de l’automobile, mais appliquée à un véhicule spatial réutilisable de 120 mètres de haut.
À cela s’ajoutent les incertitudes réglementaires, les menaces géopolitiques et les éventuels retards liés à l’innovation technologique. Toutefois, Elon Musk assume cette vision à long terme : “Le canon à fusées de type colonisateur planétaire qui rendra les autres transports spatiaux triviaux.”
Une nouvelle ère industrielle pour l’exploration spatiale
L’histoire retiendra peut-être la Gigabay comme l’équivalent spatial des chaînes Ford du XXe siècle. En industrialisant la production de Starship à cette échelle, SpaceX pourrait jeter les bases logistiques nécessaires pour des missions répétées et rentables vers la Lune et Mars, tout en consolidant le rôle central que l’entreprise joue dans l’économie orbitale internationale.
Encore en construction, l’imposante structure définira sans doute les futures normes en matière de cadence, de fiabilité et de réutilisabilité pour les systèmes de lancement spatiaux. La Gigabay incarne, plus que jamais, un changement d’échelle : non plus l’exploration, mais la colonisation.

